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Fatoumata Ngom

Romancière

Auteur du roman Le Silence du totem

Qui est-elle ?

A travers son récit sur l’histoire du peuple sérère, qui est l’un des peuples africains ayant été le plus touchés par les spoliations des puissances coloniales, Fatoumata Ngom propose dans son roman Le Silence du totem une réflexion sur les rapports que les hommes, et en particulier ce peuple, entretiennent avec les biens culturels dont ils ont été dépossédés. Le regard qu’elle porte sur ces objets, et la manière dont elle les envisage se rattachent donc pleinement à la question de la restitution des biens culturels et se trouvent en lien étroit avec la problématique de notre controverse (à savoir de quelle manière traiter ces objets, quelle politique pour de tels biens) puisque l’histoire qu’elle retrace soulève des questions anthropologique et culturelle sur la nature, mais aussi la valeur de ces biens qui font écho aujourd’hui au rapport Sarr-Savoy. Paru en avril 2018, le roman de Fatouma Ngom, s’il prend racine dans des motivations plus anciennes, intervient en effet seulement quelques mois avant la publication du rapport qui prévoit le processus de restitution des œuvres spoliées par la France et surtout, apparaît juste après le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou dans lequel il s’engage à restituer ces biens aux peuples africains. La position que prend la romancière dans son œuvre quant à ces objets, apparaît par conséquent si ce n’est comme un effet d’annonce, du moins largement comme le reflet de l’actualité récente concernant les différentes politiques de restitution envisagées par le gouvernement français car, en mettant en avant l’importance culturelle et la valeur testimoniale de ces objets, elle nourrit le débat autour de la restitution des biens culturels par la France à l’Afrique.

 

Position dans la controverse

 

Fatoumata Ngom envisage la question de la restitution principalement sous l’angle du bien culturel car sa manière ensuite de concevoir ce qu’est un musée, le processus de retour de ces objets, leur conversation et toutes les problématiques liées à ce sujet dépendent et sont déterminés à partir de sa propre compréhension de ce que sont et de ce que signifient ces objets selon elle. D’après la définition qu’elle en donne au début de l’entretien, pour Fatoumata Ngom, les biens culturels africains spoliés sont en effet des objets porteurs de l’histoire et de la culture des peuples et présentent ce faisant une dimension testimoniale et symbolique dont la valeur immatérielle est inestimable et unique, qui doit primer dans la mise en œuvre d’un processus de restitution. A ce titre, la position de Fatoumata Ngom se rapporte par conséquent d’abord au nœud 1 sur le statut et la valeur des biens culturels et rappelle les positions de l’UNESCO ou de l’artiste Fodé Sylla pour qui ces objets symbolisent la mémoire d’un peuple en ce qu’ils constituent des éléments fondamentaux d’une civilisation et d’une culture. Fatoumata Ngom, en considérant la question de la restitution des biens culturels sous l’angle des dommages mémoriels et identitaires que les spoliations ont causées, et en mettant au premier plan l’importance historique et culturelle de ces objets, reflète ainsi la position d’une majorité d’acteurs africains intervenant sur le sujet et son roman, par certains aspects, cristallise les attentes de nombreux États africains à l’égard de la France, ou du moins des peuples qui ont été les premières victimes de ces spoliations et qui seraient les premiers bénéficiaires d’une restitution. Aussi, si la position de Fatoumata Ngom peut être catégorisée dans le nœud 1 (valeur et statut du bien culturel), elle ne s’y limite pas et est également à relier au sens de la restitution et à ses conditions ou modalités (nœud 3 et 4) car une telle définition du bien culturel démontre implicitement l’importance, et par là-même la nécessité, que revêt le retour de ces objets pour les peuples africains. Ces objets en faisant selon elle partie intégrante de la culture et de l’histoire d’un peuple, constituent de ce fait dans sa logique un héritage culturel nécessaire au processus de construction identitaire des jeunesses africaines actuelles. Or ces objets, du fait des spoliations lors de la colonisation, ne se trouvent plus sur le territoire africain, et leur absence cause de graves dommages à la construction de cette identité et de cette mémoire. Dans cette perspective, la restitution des biens culturels qui ont fait l’objet d’une spoliation apparaît ainsi à ses yeux naturelle et relève « du sens commun » car elle doit permettre de « réparer ce tort historique » et ce « crime contre la culture » de ces peuples victimes de spoliation. A partir d’une réflexion sur la nature des biens culturels, leur valeur et leur statut, Fatouma Ngom débouche donc sur une position complexe qui se trouve à la frontière entre plusieurs nœuds car celle-ci conduit non seulement à définir les biens culturels par rapport à leur dimension historique et culturelle mais l’amène aussi à envisager, dans la continuité de sa méditation, des modalités de restitution en fonction des éventuels dommages que ces retours pourraient réparer (le critère de restitution selon elle se définit à partir de la spoliation). Sous cet angle, la position de Fatoutama Ngom peut donc aussi être mise en relation avec celles de Louis-Georges Tin ou encore Christian Kader Keïta pour qui la restitution des biens culturels s’inscrit dans une forme de réparation de la colonisation.

Enfin, toujours dans la continuité de l’analyse qu’elle fait des biens culturels, Fatouma Ngom livre la conception qu’elle se fait du musée (nœud 2) dont le rôle est fondamental pour elle dans la conservation des biens culturels mais dont la scénographie telle qu’imposée par les musées occidentaux vient dénaturer la valeur réelle et originelle de ces objets. Ici, la position de Fatoumata Ngom propose donc une vision intermédiaire du musée à mi-chemin entre celle de Jean Loup Amselle, qui envisage les institutions muséales comme une manière d’imposer à l’Afrique une vision occidentale de la conservation de ces objets, et celle de James Cuno pour qui le musée a une visée humaniste qui doit consister à montrer et transmettre.

Dans la controverse sur la restitution des biens culturels, la position de Fatoumata Ngom se définit par conséquent essentiellement par rapport à la valeur et au statut du bien culturel (nœud 1) desquels découlent une manière spécifique d’envisager la restitution, ses modalités et le rôle du musée dans le traitement de ces objets (nœuds 2, 3 et 4).

 

Démarche et savoirs mobilisés

 

Cette vision de la controverse est défendue au moyen d’un récit ; celui de l’étude menée par la jeune héroïne Sitoé Iman Diouf et prend une forme originale, celle d’une mise en roman. A ce titre Fatoumata Ngom, pour présenter sa position, adopte une démarche créative voire artistique qui n’est pas sans rappeler la manière dont l’artiste africain, Fodé Sylla, soutient sa conception de la question avec le projet de sa collection fantôme. Elle reste cependant un acteur relativement isolé qui n’intervient dans aucune arène.

Par ailleurs, pour réaliser son roman et se forger une telle position, Fatoumata Ngom a également réalisé de nombreuses recherches sur le peuple sérère basées à partir de faits historiques, mais aussi surtout au moyen de l’observation et de l’étude qu’elle en a fait par elle-même. Si Fatoumata Ngom n’est ni historienne ni anthropologue, son roman fait donc dans une certaine mesure également œuvre d’histoire et mobilise des savoirs anthropologiques car sa position par rapport à la restitution des biens culturels à l’Afrique, et en particulier au peuple sérère qu’elle a étudié, s’est construite à partir d’une analyse très minutieuse du fonctionnement de ce peuple du Sénégal et du rapport que ceux-ci entretenaient avec de tels objets, et repose sur une réflexion culturelle, religieuse, cultuelle et spirituelle de ces objets, de ce qui les lie aux hommes et de la manière dont ils interviennent dans l’histoire, la culture et plus largement la vie de ces peuples.

Prises de positions et modalités des preuves
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